Jean-Philippe Casanova, Président de la Fédération Française des Pilotes Maritimes (FFPM), et Senior Vice-Président de l’Association Internationale des Pilotes Maritimes répond aux questions d’Armateurs de France. Décodage de la place des pilotes maritimes dans l’écosystème maritime et de l'impact de la crise sur cette activité.
Armateurs de France : Parlez-nous du rôle des pilotes dans la marine marchande
Jean-Philippe Casanova : Le pilotage c’est l'assistance donnée aux capitaines, par un personnel commissionné par l'Etat, pour la conduite des navires à l'entrée et à la sortie des ports, dans les ports et dans les eaux maritimes. C’est la définition donnée par l’article L5341-1 du Code des Transports. Très concrètement, le pilote guide les navires : présent à la passerelle, il assiste quotidiennement, de jour comme de nuit, dans toutes les conditions de vent et de mer, les capitaines de navires, à l’entrée, à la sortie et dans les eaux resserrées des ports. Il conduit les manœuvres d'accostage et d'appareillage et coordonne les moyens nécessaires à celles-ci : remorqueurs, lamaneurs... Il assure également l’interface avec la capitainerie et les officiers de port. |
Disponibles 24h/24, 365 jours par an, dans toutes les eaux françaises comprenant les territoires d’outre-mer, les pilotes maritimes apportent aux capitaines, leur expérience de la manœuvre et leur intime connaissance des lieux pour anticiper les risques, éviter les dangers et faire face à l’imprévu. Ils contribuent donc à la sécurité des navires, des équipages et des usagers des ports, mais aussi à la protection de l'environnement et des infrastructures portuaires, et à l’efficacité économique des ports.
Lorsqu’un navire est en difficulté, les pilotes maritimes sont intégrés dans les équipes d’évaluation et d’intervention (EEI). Par exemple, récemment, les pilotes de Marseille ont participé à l’évacuation de plusieurs centaines de personnes suite à un incendie au sud de Martigues. Il peut aussi leur arriver d’intervenir en étant hélitreuillés au sein des EEI sur des navires en détresse.
Je tiens à préciser que le pilotage, mission de service public, financé uniquement par le trafic portuaire, contribue activement au développement de chaque port. Ainsi, on retrouve régulièrement des pilotes comme acteurs principaux dans les conseils de développement des Grands Ports Maritimes, dans les Chambres de Commerce et d’Industrie, les unions maritimes ou encore les associations de promotions de la croisière.
AdF : Quel est l’impact de la crise actuelle sur cette activité ?
JP.C : L’activité de pilotage est par nature intimement liée à l’activité de nos ports. Les ports dans leur ensemble ayant subi un recul en 2020 du fait de la baisse de la consommation dans notre pays, le pilotage a évidemment été fortement impacté. Les effets de la crise ont été encore plus marquant dans les places portuaires liées au trafic passagers, à la croisière ou au tourisme. Je pense notamment aux outre-mer mais également à de nombreux sites métropolitains et à la Corse. Je peux vous citer par exemple un chiffre très révélateur : la station de Nice accusera une perte de chiffre d’affaires de l’ordre de 80% pour l’année 2020.
A ce sujet, je tiens à saluer le soutien d’Armateurs de France et de son président, Jean-Emmanuel Sauvée, qui a permis aux services auxiliaires de transport par eaux (dont le pilotage maritime) d’intégrer la liste S1 bis du plan tourisme de la relance nationale. Malheureusement, seule la station de Nice peut bénéficier de ces aides qui ne concernent, en outre, que le personnel salarié et donc pas les pilotes maritimes eux-mêmes.
AdF : En tant que président de la FFPM, quelles sont vos demandes pour la relance du secteur ?
JP.C : Sur le plan social d’abord, je me bats pour pérenniser la compétitivité du pavillon français et l’emploi maritime. Je porte une attention particulière à la qualité de la formation afin de permettre aux stations de pilotage de recruter à un très haut niveau de qualification. Avant la pandémie de Covid-19, près de 100 places étaient ouvertes par concours entre 2020 et 2025. Avec la crise, l’ensemble des départs risquent de ne pas être remplacés…
Sur le plan environnemental, il nous faut des dispositifs d’aides pour que les services portuaires, incluant le pilotage, soient au rendez-vous de la transition écologique de l’économie maritime française. Cela concerne le verdissement de la flotte mais aussi de nos infrastructures portuaires. Je pense par exemple aux équipements pour permettre le branchement à quai des navires ou leur avitaillement en carburants alternatifs, mais aussi au développement d’infrastructures fluviales et ferroviaires permettant le report modal. Plus d’intermodalité amènera un gain non négligeable à nos ports et au transport maritime d’une façon générale, tout en étant écologiquement vertueux.
AdF : Vous avez-vous-même été pilote. Quel est votre meilleur souvenir ?
JP.C : Je suis toujours pilote maritime à la station de pilotage de Marseille/Fos, même s’il est vrai que la fonction de président de la FFPM occupe le plus clair de mon temps. Il est prévu que je reprenne ma place dans le tour de liste des pilotes marseillais à l’été 2021.
Le pilotage maritime est un métier de passion ! Je n’aurais certainement jamais été pilote si je n’avais pas été au départ passionné par la mer et je n’ai pas un mais plusieurs meilleurs souvenirs professionnels associés chacun à une période de ma vie… de l’entrée à l’hydro (ENSM) à ma réussite au concours de pilote en passant par dix années de navigation afin d’avoir le temps requis pour pouvoir passer le concours. Comme tout pilote, pour chaque manœuvre, le « good job Mr Pilot » du capitaine est une source de satisfaction et donc un bon souvenir. Je garde précisément en mémoire l’accostage d’un vraquier d’une centaine de mètres de longueur, il y a quelques années, dans le golfe de Fos où après avoir embarqué dans la tempête au beau milieu de la nuit, j’ai pu voir un capitaine et son équipage, heureux et détendus d’avoir pu rejoindre, enfin, leur poste à quai… Et ce que j'apprécie particulièrement dans mon métier, c'est que chaque pilote est amené à se former en permanence afin d'être préparé aux différents types de manœuvres à réaliser.
Mon mandat de président de la FFPM restera également un excellent souvenir ! Il m’a permis d’une part de défendre les intérêts de ma profession et même de l’économie maritime française dans son ensemble et d’avoir réellement la sensation de faire partie de l’équipe de France du maritime, une grande famille !
AdF : Vous avez la réputation d’être un grand amateur d’huîtres. Quelle est votre variété préférée ?
JP.C : C’est vrai, je vois que vous êtes très bien renseigné... J’apprécie d’une façon générale tous les produits de la mer et concernant les huitres chaque région recèle de produits d’exceptions, de la Corse à la Charente Maritime, en passant par la Bretagne et la Normandie. Plus sérieusement, après ce clin d’œil sur mes goûts culinaires, je pense que cette année tout particulièrement, il y a un énorme besoin de solidarité économique maritime nationale. Faisons donc travailler les producteurs français qu’ils soient ostréiculteurs, conchyliculteurs ou pêcheurs et plus largement privilégions l’ensemble des acteurs de l’économie maritime française !
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©EricHouri